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Rob La Frenais – Un artiste dans l’espace – un objectif réalisable ? – 2003

Commissaire d’exposition, directeur artistique Arts Catalyst, Londres, Grande-Bretagne

Première publication colloque Visibilité – Lisibilité de l’art spatial. Art et Gravité Zéro : l’expérience des vols paraboliques, en collaboration avec le festival @rt Outsiders, Paris, 2003

Dans quelle mesure peut-on envisager d’envoyer un artiste dans l’espace orbital ? Cette question est sujette à débat, à la fois sur un plan pratique et théorique. Le succès du vo des deux touristes de l’espace, Dennis Tito et Mark Shuttleworth, à bord de l’ISS (Station spatiale internationale) avec l’Agence spatiale russe invite ceux d’entre nous qui sommes engagés à promouvoir un meilleur contact entre le domaine culturel et les agences spatiales à se poser la question suivante : si un organisme artistique parvenait à trouver les fonds nécessaires, pourrait-on entraîner le premier artiste-cosmonaute comme ces touristes, et l’envoyer, après avoir réservé et payé une troisième place à bord, dans le vaisseau Soyouz ? Si oui, serait-ce une chose souhaitable ?

Les questions qui sautent aux yeux de quiconque s’aventure sur ces territoires sont évidentes, mais il faut néanmoins tenter d’y répondre :

Alors qu’il est déjà assez difficile de faire de la science dans l’espace, les coupes budgétaires de l’ISS et la catastrophe de Colombia ayant mis un frein aux opérations en cours, pourquoi se paierait-on le luxe d’envoyer un artiste dans l’espace et au nom de quoi en ferait-on une priorité ?

Quel en serait le coût ? Ne serait-ce pas une dépense inutile ?

En supposant qu’on parvienne à financer ce projet, qui irait ? Quelle serait la forme artistique représentée ? Quels seraient l’âge, le sexe, et la nationalité de l’heureux artiste-cosmonaute et sur quels critères le choisirions-nous ?

Cet article tente d’apporter quelques éléments rationnels de discussion à ces questions pour cette conférence.

La première question serait soulevée par la communauté scientifique et fait écho aux premières inquiétudes que posérent le fait que des artistes utilisent les vols paraboliques dans leur travail. Comme l’équipe Beagle de l’atterrisseur sur Mars l’a montré à travers sa collaboration un peu mise en scène avec l’artiste britannique Damien Hirst, la culture est une bonne publicité pour l’industrie aéronautique. C’est ainsi. Les artistes et les grandes figures culturelles exercent une certaine influence sur le public. Ils influent également sur les décisions des politiques pour investir dans les voyages dans l’espace. Parfois, ce sont mêmes des artistes qui contribuent directement à l’expérience de la vie dans l’espace, comme Kitsou Dubois l’a montré avec son programme d’entraînement par la danse avec le CNRS et l’ESA.

Combien ? Même si on ne connaît pas le montant exact du voyage que les deux touristes ont payé, on pense que Mark Shuttleworth a donné entre 18 et 20 millions de dollars à l’Agence spatiale russe. Il prétend sur son site Internet que cette somme est inférieure à ce que la plupart des pays (à l’exception de la Russie sans doute) seraient prêts à payer pour envoyer leur propre astronaute là-bas, disons pour une période de cinq à dix jours ; c’est à peu près la somme qu’un organisme artistique de taille moyenne pourraient réunir pour développer un projet, en sollicitant des grandes entreprises, des portefeuilles d’action, et en recourant aux ventes d’art et aux loteries nationales – et même aux subventions publiques sur une base transnationale. Cela dit, cela fait beaucoup d’argent dépensé pour une mission de 10 jours. Nous pourrions également utiliser nos contacts avec le gouvernement russe pour essayer de négocier le prix à la baisse, mais il faudrait que cela soit fait longtemps à l’avance ; de plus, cette solution suppose d’avoir un réel soutien politique. Le chanteur de variété Lance Bass s’est fait expulser de la Cité des Etoiles quand ses sponsors ont essayé de négocier avec les Russes après le début de son entraînement.

Qui irait ? Il apparaît évident que l’artiste désigné emporterait avec lui le travail d’autres artistes, que ce soit sous la forme d’un projet physique, d’une performance ou d’une expérience conceptuelle. Ce projet suppose qu’il ou elle soit en bonne santé, pas trop âgé(e), même si ce critère tend à être moins important. Il faudrait que cet artiste se montre très motivé pour partir, et qu’il soit probablement soutenu par une équipe d’autres artistes cosmonautes entraînés et prêts à prendre sa place, comme cela arrive régulièrement pendant les entraînements au lancement. Par conséquent un comité d’experts serait réuni pour donner leur avis sur tous les intérêts en jeu qui voudraient être représentés ; cet aspect est un des moins intéressants de cette expérience. Arts Catalyst, membre du réseau européen MIR et organisateur, en partenariat avec le Projet Atol, de trois campagnes russes en gravité zéro, a eu l’idée de commander de nouveaux projets qui seraient réalisés ou emportés par l’artiste-cosmonaute,et de les présenter au Roundhouse de Londres en 2005. Cela serait l’occasion de lancer une campagne de financement de 5 ans pour que ces œuvres aillent dans l’espace en 2010 ou après.

L’objectif de ce projet est de propager l’idée dans le monde qu’un artiste dans l’espace est possible. Si on décide de poursuivre le projet, l’appel d’offres aura lieu au printemps 2004.

 

© Rob La Frenais & Leonardo/Olats, Octobre 2003, republié 2023